Pour la deuxième fois cette année, M. Conte, directeur du Cap’Cinéma de Beaune, a offert une belle opportunité à des élèves du Lycée E.J. Marey : assister à une séance Ciné-Débat.
Ainsi, lundi 7 décembre à 20h, vingt jeunes, curieux d’Histoire et de Justice, de 1L et TL et surtout d’Histoire des Arts ont répondu à cette invitation, intrigués par un sujet qu’ils ne connaissaient pas. La salle de cinéma était comble car l’occasion était particulière : visionner un documentaire historique, Ben Barka, l’équation marocaine réalisé en 2001 par Simone Bitton, puis rencontrer et dialoguer avec Bachir Ben Barka, à l’occasion du cinquantième anniversaire de la disparition de son père.
L’affaire Ben Barka est le plus vieux dossier judiciaire français. Le 29 octobre 1965, Mehdi Ben Barka est enlevé devant la brasserie Lipp à Paris par deux policiers. Cinquante ans après, le mystère demeure. Pourtant, la quête de vérité continue, notamment de la part de Bachir Ben Barka qui n’avait que quinze ans lors des faits ; c’est depuis le combat de sa vie et il en parle avec passion, répondant inlassablement aux questions du public durant 1h30. Heureux que des jeunes soient présents dans la salle, il leur apprend que les responsabilités politiques marocaines à l’origine de l’enlèvement se situent à un échelon élevé et que des complicités françaises et internationales au niveau de la police et des services de renseignement existent, y compris le Mossad et la CIA, mais les preuves manquent toujours. L’enlèvement suivi de la disparition de Mehdi Ben Barka a, en effet, toutes les caractéristiques d’un crime d’Etat, des Etats. Aujourd’hui, l’obstacle principal à l’établissement de toute la lumière reste la raison d’Etat(s) érigée en principe face aux exigences de justice et de vérité due à la famille de Mehdi Ben Barka et de l’hommage à sa mémoire.
L’affaire est connue, mais l’histoire et l’importance de Mehdi Ben Barka le sont moins, c’est vraiment ce qui a le plus surpris les élèves, car cet homme est un militant majeur à double titre. Il est avant tout l’un des principaux opposants politiques du roi Hassan II, souverain autoritaire de droit divin, dont il fut pourtant le professeur de mathématiques. Né en 1920 à Rabat dans une famille populaire, il a la chance de faire des études. Ce jeune surdoué s’engage très tôt en politique, il milite contre la présence française au Maroc et soutient le retour du roi Mohammed V, alors que son pays accède à l’indépendance en 1956. Rapidement, il se range dans l’opposition au régime, prônant la démocratie, le développement économique et la justice sociale. A l’avènement de Hassan II en 1961, Ben Barka est déjà victime d’une tentative d’assassinat maquillée en accident. Il est contraint à l’exil en France deux années plus tard, avant d’être condamné à mort par contumace par le tribunal militaire royal.
Mehdi Ben Barka est aussi l’une des figures de proue du mouvement tiers-mondiste et panafricaniste. Dix ans après la Conférence de Bandung, le « Che Guevara arabe » organise la Conférence tricontinentale, de son nom exact Conférence de solidarité des peuples d’Asie, d’Afrique et d’Amérique Latine, qui doit se tenir à La Havane en janvier 1966, au grand dam des Etats-Unis qui n’ont dès lors de cesse de tenter d’intimider le militant. La disparition de Ben Barka limite la portée de cette conférence et la Tricontinentale sombre vite dans l’oubli. L’assassinat politique de nombreux autres leaders tiers-mondistes dans les années qui suivent affaiblissent fortement et durablement le Tiers Monde.
Alors les lycéens restent perplexes devant ces révélations qui les amènent à se poser beaucoup de questions : Comment est mort Mehdi Ben Barka ? Qui sont ses assassins ? Où est sa sépulture ?Toutes les responsabilités sont-elles établies ? Mais surtout, Ben Barka aurait-il pu changer la face du Maroc et même du monde, s’il n’avait été pas enlevé ? Le journaliste Olivier Boucreux, auteur du documentaire Ben Barka, l’obsession y apporte une bien triste réponse en cette période troublée :
«S’il était encore vivant, le monde serait différent. Il y a quelque chose de très actuel dans son combat pour la liberté et l’indépendance.»
Mme CUREL Christine, professeure d’histoire-géographie