De jeunes festivaliers et cinéphiles
Le Festival International du Film Policier de Beaune est un événement accessible permettant d’approcher des personnalités, voire des légendes du 7e Art, avec des films en ou hors compétition, des expositions, des tables rondes, des émissions de radio et la fameuse leçon de cinéma. Lors de la 9e édition du 29 mars au 2 avril 2017, nous, élèves d’Histoire des Arts du Lycée Marey, n’avons pas fait que voir du cinéma, mais nous l’avons aussi mieux compris.
Pour commencer, le jeudi, nous avons eu l’honneur d’assister à l’enregistrement de deux émissions de France Bleu animées par le sympathique Arnold Derek, très complice avec le public. Quel bonheur d’être dans les coulisses du monde de la radio ! La première avait pour invités trois membres du jury dont le Président, Jean-Paul Rappeneau, grand réalisateur français et les comédiens, Eric Elmosnino, connu pour son interprétation du célèbre chanteur dans Gainsbourg, vie héroïque ou du professeur de musique dans La famille Bélier, et Valérie Donzelli, également jeune réalisatrice. Ils se livrèrent à un intéressant débat sur le festival et le genre policier. La seconde portait sur le doublage au cinéma. Nous étions en présence des doubleurs de grands acteurs américains. Quel plaisir de fermer les yeux et d’imaginer Kévin Kosner, Morgan Freeman, Bruce Willis ou Samuel Lee Jackson, parler, jouer devant nous ! Les acteurs majoritairement de théâtre, respectivement Bernard Lanneau, Benoît Allemane, Patrick Poivey et Thierry Desroses, ont évoqué de façon drôle et passionnée leur métier de « post-synchronisateur », comme ils aiment le dire. C’était un moment à la fois riche et étonnant dont nous nous souviendrons longtemps.
Le lendemain, nous avons fait ce qui semble le plus logique : voir des films. A la lecture des synopsis, notre choix s’est porté sur deux œuvres totalement différentes, qui nous ont agréablement surpris et qui ont finalement été primées, respectivement par le Jury Spécial Police et le Jury Sang Neuf. Le premier, The Limehouse Golem, thriller psychologique dans une ambiance gothique à l’époque victorienne en Angleterre ; le second, Que Dios Nos Perdone, polar hyperréaliste situé en 2011 en Espagne ; deux mondes par conséquent bien distincts.
Le réalisateur Juan Carlos Medina, qui nous a donné quelques indications avant le début de la projection en présence de membres de jurys, nous a immédiatement plongé, à travers la lecture de son journal dans l’univers de l’assassin, surnommé « le golem », terrifiant le quartier brumeux de Limehouse à Londres. Entre réalité et conte, passé et présent, nous avons pu évoluer avec deux policiers, coéquipiers malgré eux, mais solidaires face à l’horreur. Le personnage principal, une femme qui n’a comme unique volonté que d’être connue et qui pour arriver à ses fins, ne recule devant rien. C’est elle qui est à l’origine du suspens ; nous suivons ses manipulations et son sadisme, mais aussi sa performance sur la scène du music-hall qu’elle veut conquérir. Le film mélange plusieurs arts, ce que nous avons trouvé intéressant et perturbant, le théâtre, la comédie musicale et les œuvres qu’elle réalise par la mise en scène de ses crimes.
Peut-être parce qu’il s’agit de deux réalisateurs espagnols, nous pouvons finalement constater plusieurs points communs avec le second film qui n’avait pourtant rien à voir en apparence. Pourtant dans les deux oeuvres, tout le monde avance masqué et les tréfonds de la nature humaine sont explorés. L’on retrouve un duo de flics contraints à faire équipe, mais leurs différences sont davantage soulignées, l’un ne peut contenir sa violence et l’autre l’a intériorisée et bégaie. Le réalisateur, Rodrigo Sorogoyen, réussit également à happer le spectateur dans une enquête visant à démasquer le coupable, mais il s’agit ici un gênant serial killeur, violeur de grand-mères ! Nous découvrons, avec les personnages principaux, une dimension psychologique qui nous fait revivre le passé du meurtrier. Il faut aussi souligner l’importance du contexte, trahissant un point de vue politique, les manifestations des Indignés à Madrid parallèlement à la venue du pape, sous une canicule étouffante. Comme dans beaucoup de films espagnols contemporains, l’on ressent que ce pays, dont le travail de mémoire historique est récent, a besoin de « penser » ses plaies.
Les plus motivés d’entre nous qui le pouvaient, ont poursuivi leur expérience de jeune festivalier, en profitant du visionnage d’autres films le vendredi soir et surtout en allant assister à la fabuleuse leçon de cinéma le samedi après-midi, animée par un grand nom du genre policier. Cette année l’invité d’honneur était Park Chan-Wook, célèbre réalisateur sud-coréen. Durant une heure et demi, nous avons beaucoup appris, à travers trois extraits de films très différents, celui qui l’a révélé Joint Security Area, le plus célèbre et violent Old Boy et le dernier et très esthétique Mademoiselle. Il nous a parlé de son parcours, de ses influences et de sa façon si particulière d’aborder le cinéma, le tout marqué par l’histoire de son pays. Ce maître du cinéma international est un homme d’une extrême sagesse, humble et engagé, à un tel point que quand la leçon fût terminée, il s’arrêta pour discuter et prendre des photos avec les intéressés. Un moment magique et inoubliable …
En bref, à ceux qui aiment le cinéma, à ceux qui veulent vivre et toucher du bout des doigts ce monde si fermé, achetez vos pass pour ce festival à taille humaine ; nous, c’est sûr, on y retournera.
Oriane Da Silva, Flavie Jarry et Lara Mingucci – TL