Dans le cadre des actions complémentaires du dispositif Lycéens et Apprentis au Cinéma – Bourgogne, Tiffany KLEINBECK-PESET, coordinatrice, est venue au lycée Marey, comme chaque année depuis 3 ans, accompagnée d’un professionnel du cinéma, cette fois Sébastien BAILLY.
Ce réalisateur prometteur de la nouvelle génération du cinéma français et cofondateur des Rencontres du Moyen Métrage de Brive a fait l’honneur de sa présence aux 27 élèves d’Histoire des Arts. Il s’est fait remarquer par ses courts métrages, en particulier son quatrième Où je mets ma pudeur (2013). Sélectionné dans de nombreux festivals internationaux dont celui de Sundance et nommé aux Césars en 2015, il met en scène Hafsia Herzi (inoubliable dans La Graine et le mulet d’Abdellatif Kechiche en 2007) pour aborder avec sensibilité un sujet sociétal controversé, le port du voile à l’université.
C’est ce très beau film que Sébastien Bailly est venu présenter à ce groupe d’élèves, majoritairement féminin et particulièrement attentif, puisque le personnage principal, une jeune femme d’origine maghrébine, est une étudiante en histoire de l’art qui doit retirer son hijab lors de l’oral d’un examen. « Ce n’est pas vraiment une question de croyance » dit-elle à son enseignante qui ne veut pourtant pas en savoir plus. Ainsi une double épreuve l’attend, faire un exposé devant un jury et s’exposer au regard en se sentant dénudée.
Après le visionnage, 20 minutes de cinéma esthétiques et politiques, notre intervenant a souhaité expliquer pourquoi il avait réalisé ce court métrage. « Je ne suis ni pour ni contre le voile. Mon propos n’est pas là. Seulement, je constate qu’on mélange aujourd’hui beaucoup de choses et je finis par penser que cette obsession du voile est le symptôme d’un malaise plus profond de la société. Plus que la question du voile et de la laïcité, mon film cherche à renouer avec le sujet de l’intime et de la pudeur. » Effectivement, après avoir interrogé de nombreuses jeunes femmes portant le hijab, il a compris qu’elles étaient prises entre deux mondes, leur religion, leur famille ou leur culture et leur vie sociale, mais aussi la sphère intime et l’espace public, et qu’elles devaient constamment composer avec tout cela.
Dans un second temps, Sébastien Bailly a voulu exposer ses choix de mise en scène. Il lui fallait trouver une forme sensible pour évoquer ce thème polémique. Justement toute l’habilité du film est de s’en emparer en douceur et cela à travers l’art qui devient une passerelle ; ainsi une subtile communication s’établit entre Hafsia et la figure de la célèbre peinture exposée au Louvre, La Grande Odalisque d’Ingres. Quand l’étudiante fait le commentaire de l’œuvre devant les professeurs, c’est d’elle dont elle parle. Le choix de ce tableau orientaliste qui véhicule un fantasme de l’Orient par l’Occident est audacieux. Cette femme allongée, de dos, portant uniquement des accessoires orientaux, dont un foulard, évoque l’attente de l’amour. Entre voilement désiré et dévoilement obligatoire, chevelure cachée ou offerte au regard, le court métrage dessine une ligne intermédiaire afin de montrer la difficile inscription de l’intime dans l’espace public. Où je mets ma pudeur ? Cette jeune n’est pas pour autant prude ; elle n’a aucun problème avec son corps quand elle fait du jogging ou quand elle retrouve son petit ami. Ainsi, le film ne se veut pas un prétexte à un débat sur la laïcité.
L’objectif de cette rencontre était également de préparer les élèves au troisième film de Lycéens au cinéma de cette année scolaire, Fatima, qui évoque de façon naturaliste l’évolution d’une femme de ménage voulant se réaliser à travers la réussite de ses deux filles. Ainsi Sébastien Bailly a montré les liens entre son travail et celui de Philippe Faucon qui a obtenu le César du Meilleur film français en 2016. Une démarche intéressante qui a donné à nos jeunes cinéphiles des clés de lecture du long métrage qu’ils verront prochainement. Un des points communs entre ces deux œuvres, outre le port culturel et volontaire du voile, est l’importance du langage ; c’est à travers lui que les deux personnages principaux, Hafsia et Fatima, acquièrent leur liberté.
Cette intervention a également donné envie aux élèves de voir le premier long métrage de Sébastien Bailly qui vient de sortir en salles (le 10 mars 2018), Féminin plurielles. Le jeune réalisateur n’en a pas encore fini avec Où je mets ma pudeur qui est l’un des trois courts métrages qu’il a réuni pour dresser des portraits de jeunes femmes qui cherchent à s’affranchir des limites qu’on voudrait leur imposer.
Un réalisateur qui a un regard singulier et renouvelé sur les femmes, loin des clichés, cela donne envie de suivre de près sa carrière ; il est certain que c’est ce que feront nos jeunes lycéens intéressés par le cinéma et les sujets de société.